Il y a six ans, jour pour jour en Côte d'Ivoire, le régime de
Laurent Gbagbo tombait. L'ancien président est arrêté par les forces
pro-Ouattara, puis transféré à la Cour pénale internationale à La Haye
où il est jugé depuis un an pour crimes contre l'humanité. Retour en
cinq points sur son arrestation et son procès.
1- Quelques dates importantes
11 avril 2011 : il y a six ans, l'ancien président
ivoirien Laurent Gbagbo est arrêté à l'issue de la crise post-électorale
de quatre mois qui avait fait plus de 3 000 morts. L'élection
présidentielle, qui avait eu lieu le 28 novembre 2010 après avoir été
reportée à six reprises depuis 2005, avait été âprement disputée par le
président sortant et son rival, l'ancien Premier ministre Alassane
Ouattara. Pendant quatre mois, le pays s'est retrouvé avec deux
présidents, Laurent Gbagbo n'ayant pas reconnu sa défaite malgré la
proclamation de la victoire de son rival par la Commission électorale
nationale. L'ONU avait également reconnu la victoire d'Alassane
Ouattara. Le 21 mai, ce dernier est investi à la présidence.
30 novembre : Laurent Gbagbo, accusé de crimes
contre l'humanité par la Cour pénale internationale, est transféré pour
être incarcéré au centre de détention de la CPI, à La Haye.
23 mars 2014 : Charles Blé Goudé, proche de Laurent Gbagbo, rejoint son mentor au quartier pénitentiaire de la CPI.
Charles Blé Goudé est,
lui aussi, accusé de crimes contre l'humanité. La CPI réclame également
le transfèrement à La Haye de Simone Gbagbo, accusée, elle aussi, de
crimes contre l'humanité, mais la Côte d'Ivoire refuse de la transférer à
la juridiction internationale, préférant la faire juger par les
tribunaux ivoiriens.
2- Début du procès : accusations et contre-accusations
Le procès contre Laurent Gbagbo, 71 ans, s'est officiellement ouvert
le 28 janvier 2016, après une longue phase préliminaire. L'instruction
du dossier a duré un an pendant lequel 22 000 pages de preuves et des
déclarations d'une centaine de témoins ont été examinés.
La Cour a dressé quatre chefs d'inculpation contre Laurent Gbagbo,
tous relevant de crimes contre l'humanité : meurtres, viols, autres
actes inhumains et persécutions perpétrés durant la période
post-électorale de 2010. Selon l'accusation, l'ancien président aurait
mis en oeuvre un «
plan commun » en collaboration avec la
police, l'armée et des milices, pour se perpétuer au pouvoir. L'ancien
ministre de la Jeunesse et l'ex-meneur des Jeunes Patriotes Charles Blé
Goudé est poursuivi pour les mêmes accusations. Les deux affaires ont
été jointes par souci d'efficacité budgétaire.
Les deux accusés ont plaidé non coupables pour
les crimes dont ils sont inculpés. Les avocats de la défense ont sonné
la contre-offensive en accusant l'équipe de la procureure, Fatou
Bensouda, d'avoir enquêté uniquement à charge. La défense a par ailleurs
accusé Alassane Ouattara et ses soutiens d'avoir plongé le pays dans la
violence dans le but de s'emparer du pouvoir par la force. La France
est aussi pointée du doigt pour avoir aidé Alassane Ouattara en lui
fournissant des armes, malgré l'embargo.
3- Les protagonistes
Les accusés
Laurent Gbagbo :
il fut le président de la Côte d'Ivoire entre 2000 et 2010.
Charles Blé Goudé : ancien ministre de la Jeunesse dans le
gouvernement de Laurent Gbagbo, il est accusé d'être l'homme des
« basses besognes » de l'ex-président en tant qu'ancien chef de sa
milice, ce qu'il a toujours nié.
Le bureau de la procureure
Fatou Bensouda : d'origine gambienne, elle a prêté serment en 2012,
devenant procureure générale de la CPI. Elle a succédé à Luis Moreno
Ocampo et suit le dossier Gbagbo depuis son entrée en fonction. Elle est
déjà en poste lors de la première audience de la confirmation des
charges contre l'ancien président ivoirien, qui se tient le 18 juin
2012.
Les juges de la Chambre préliminaire
Ils sont au nombre de trois, dont le juge italien
Cuno Tarfusser qui
préside le tribunal. Réputé hostile au clan Gbagbo, il a créé la
surprise en se prononçant en mars dernier en faveur de la libération
sous caution de Laurent Gbagbo. Il répondait à la 11e demande de mise en
liberté de l'ex-président ivoirien. Si Gbagbo reste toutefois en
prison, c'est parce que les deux autres juges avec lesquels Tarfusser
est chargé de conduire le procès ne sont pas favorables à sa libération.
Les avocats de la défense
Me Emmanuel Altit : spécialiste de la Cour pénale internationale, il est l'avocat principal de Laurent Gbagbo.
4- Combien de temps peut durer le procès ?
Ce procès risque de durer longtemps, avec l'accusation proposant de
faire déposer quelque 120 témoins. Depuis l'ouverture du procès il y a
15 mois, seulement 35 témoins se sont relayés à la barre. Quand tous les
témoins de l'accusation auront été entendus, ce sera alors le tour de
la défense, suivi des plaidoiries finales.«
Sachant qu'on ne peut pas interroger plus de 30 témoins par an, il faudra dix ans pour en venir à bout de ce procès »,
s'impatiente Me Altit, qui a opposé une fin de non-recevoir à la
demande de l'accusation de ne pas appeler tous les témoins à la barre.
5- Vers une mise en liberté conditionnelle prochaine de Laurent Gbagbo ?
Certes, en mars dernier, le tribunal de La Haye a
refusé pour la 11e fois la demande de libération provisoire de Laurent Gbagbo
qui avait été formulée par sa défense. Mais le sujet n’est plus tabou,
surtout depuis que le président de la Chambre préliminaire de la CPI a
rendu publique son opinion divergente sur la question. Rappelant que
l’ancien président ivoirien est détenu à La Haye depuis novembre 2011,
Cuno Tarfusser fait valoir dans sa réponse à la défense de Laurent
Gbagbo la nécessité de ne pas dépasser «
le seuil d’une durée raisonnable » de détention.
Un argument qui a dû motiver également la démarche discrète faite
auprès de François Hollande en début d’année par quatre chefs d’Etat
francophones (le Burkinabè Roch Marc Kaboré, le Guinéen Alpha Condé, le
Malien Ibrahim Boubacar Keïta et le Nigérien Mahamadou Issoufou) pour
sensibiliser le président français à la lenteur de la procédure contre
leur ancien camarade socialiste. Ce n’est sans doute pas accidentel si
les dirigeants africains ont choisi ce début d’année pour évoquer le
sujet avec leur homologue à l’Elysée. «
Ils savent, explique Guy Labertit, socialiste historique et ami de longue date de Laurent Gbagbo,
que
François Hollande est inquiet de la dégradation de la situation
politique et sécuritaire en Côte d’Ivoire. Nous sommes nombreux à penser
que la libération de Laurent Gbagbo pourrait aider à cicatriser les
plaies de la guerre civile et contribuer à la réconciliation nationale
qui n’a jamais eu lieu. »
Dans le camp du pouvoir à Abidjan, les décideurs comme les faiseurs
d’opinion ne sont pas moins inquiets. Ils s’interrogent surtout sur la
tournure que le procès à la CPI est en train de prendre avec
l’accusation ne contrôlant plus ses
témoins. «
La
libération de Gbagbo, qui semble de plus en plus incontournable, va à
mon avis poser plus de problèmes qu’elle n’en résoudrait », s’exclame pour sa part Venance Konan, rédacteur en chef de
Fraternité Matin, organe gouvernemental. Et le journaliste d’ajouter : «
Peut-être
aurions-nous dû faire comme les Rwandais ou les Sud-Africains, négocier
avec les ennemis d’hier plutôt qu’aller à la justice ».
SOURCE : rfi