(Abidjan, le 27 octobre 2016) - Le gouvernement de la Côte d'Ivoire doit
respecter la liberté d'expression et d'association des partis
politiques opposés à un projet de constitution à l'approche d'un
référendum national sur ce texte, prévu le 30 octobre 2016, a déclaré
Human Rights Watch aujourd'hui. Celui-ci contient des dispositions dont
l'opposition estime qu'elles renforceront considérablement les pouvoirs
présidentiels.
Au cours de la période précédant la campagne référendaire, qui s'est
ouverte le 22 octobre, les forces de sécurité ont, par deux fois au
moins, dispersé une foule de manifestants opposés à la constitution et
plusieurs dirigeants de l'opposition ont été brièvement détenus.
Plusieurs autres rassemblements de l'opposition se sont déroulés sans
incident. Avec à peine sept jours pour faire campagne, des ressources
insuffisantes, un manque d'accès aux médias contrôlés par l'État, et la
suspension, à la veille de la campagne, de deux journaux proches de
l'opposition, les partis d'opposition ont du mal à défendre leur point
de vue auprès de l'opinion publique.
« Les partis politiques et tous les ivoiriens ont le droit d'exprimer leur sentiment sur le nouveau projet de constitution », a déclaré Corinne Dufka, Directrice adjointe de la division Afrique de Human Rights Watch. « Le
gouvernement doit s'assurer que ceux qui soutiennent le nouveau texte,
comme ceux qui y sont opposés, puissent faire entendre leur voix ».
La campagne du « oui » est dirigée par le président ivoirien, Alassane
Ouattara, et par la coalition au pouvoir. Les partis d'opposition
rejettent la nouvelle constitution et ont appelé leurs partisans à
boycotter le vote.
Pour le gouvernement, le nouveau texte permettra de tourner la page des
années des violences politiques et de moderniser la constitution. La
version amendée supprime l'article stipulant que le père et la mère d'un
candidat à la présidence doivent tous deux être ivoiriens. Des clauses
de nationalité susceptibles d'aggraver les clivages ont été utilisées
pour empêcher Ouattara de se présenter aux scrutins de 1995 et 2000.
La nouvelle constitution crée également le poste de vice-président et
une seconde chambre législative, le sénat, dont un tiers des membres
sont nommés par le président. Il supprime également la limite d'âge
imposée aux candidats présidentiels.
Si la limite de deux mandats présidentiels est maintenue, le président
n'est pas obligé à soumettre à référendum tous les amendements
constitutionnels proposés, lui donnant comme alternative une approbation
par un vote des deux tiers de l'Assemblée nationale et du nouveau
sénat. Les partis d'opposition affirment qu'il sera plus facile pour les
présidents d'imposer de futurs amendements constitutionnels.
L'Assemblée nationale a approuvé la nouvelle constitution le 11 octobre,
avec 239 députés sur 249 votant « oui ». Le texte proposé a été rendu
public le 12 octobre.
À l'approche de la campagne, au moins deux manifestations de
l'opposition ont été dispersées par les forces de sécurité,
officiellement pour des raisons de sécurité publique. L'une de ces
manifestations, tenue le 20 octobre de manière non autorisée selon le
gouvernement, a été immédiatement dispersée par la police ivoirienne,
qui a tiré des gaz lacrymogènes sur les manifestants et placé en
détention durant plusieurs heures une poignée de dirigeants de
l'opposition. Plusieurs autres rassemblements de l'opposition se sont
déroulés sans incident.
Le porte-parole du gouvernement ivoirien, Bruno Koné, a déclaré à Human
Rights Watch qu'il revient au ministère de l'Intérieur d'évaluer les
risques posés par une manifestation spécifique et de déterminer ensuite
si elle peut être autorisée. Toutefois, en vertu du droit international
sur le droit de réunion pacifique, s'il est raisonnable d'exiger des
manifestants qu'ils notifient préalablement les autorités de leur
rassemblement, la demande d'autorisation est susceptible de constituer
un obstacle à la liberté de réunion. Les restrictions à la liberté de
réunion ne sont justifiées qu'en cas d'absolue nécessité, et doivent
être proportionnées au risque posé.
Les partis d'opposition ont affirmé à Human Rights Watch que leur
capacité à faire campagne a été perturbée par la brièveté de la période
de la campagne et par le manque d'accès aux médias contrôlés par
l'État. « Comment pouvons-nous expliquer les complexités et les défis posés par une nouvelle constitution en sept jours seulement ? » a déclaré un porte-parole de l'opposition.
Deux journaux d'opposition ont été suspendus le 19 octobre 2016 en
raison de leur violation d'une directive du Conseil national de la
presse (CNP), bien que de nombreux autres journaux d'opposition
continuent d'être diffusés. « La suspension m'a empêché de
participer au débat autour de la nouvelle constitution et les journaux
bleus [affiliés à l'opposition] ont perdu deux de leurs principaux
organes de presse », Joseph Gnanhoua Titi, le rédacteur-en-chef de l'un des titres concernés, a déclaré à Human Rights Watch.
Pour justifier sa
décision, le CNP assure que les deux titres ont violé une directive en
date du 16 juillet 2015, basée sur une décision de tribunal du 3 avril
2015, qui interdit de se référer à un parti politique en usant d'un nom
appartenant légalement à une tierce partie. Titi assure ne pas avoir
respecté à plusieurs reprises les directives du CNP, qu'il juge
excessives, mais que son quotidien n'a pas été suspendu en 2016 jusqu'au
19 octobre. Koné, le porte-parole du gouvernement, a déclaré que le CNP
suspend régulièrement des publications et qu'il n'y a rien de suspect
quant à la date du 19 octobre.
Les partis d'opposition affirment aussi qu'ils ont eu un accès limité ou
inexistant aux médias d'État. Un journaliste qui surveille la radio et
la télévision d'État affirme qu'en dehors de la couverture d'une
manifestation de l'opposition contre la constitution, ces médias n'ont
consacré presque aucun reportage à la mobilisation contre la
constitution. L'article 11 de la loi portant organisation du référendum
pour l'adoption de la constitution exige que pendant la période de la
campagne référendaire, les partis et groupements politiques ont un égal
accès aux organes officiels de presse écrite et audiovisuelle.
Contrairement aux élections présidentielles de 2015, le gouvernement a
décidé de ne pas fournir aux partis d'opposition des fonds de campagne.
Ceux-ci ont déclaré qu'ils ne disposaient pas des ressources suffisantes
pour être sur un pied d'égalité avec la campagne du « oui », qui est
animée par le gouvernement. Koné a déclaré que la décision « exceptionnelle » d'accorder
aux partis d'opposition des fonds de campagne pour le scrutin de 2015
ne devait pas nécessairement s'appliquer à la campagne référendaire.
Le gouvernement de la Côte d'Ivoire doit veiller à ce que les
manifestants opposés à la constitution puissent organiser des
rassemblements et des manifestations pendant et après la période de
campagne électorale, a déclaré Human Rights Watch. Les groupes
d'opposition devraient également avoir accès aux médias d'État, en
particulier compte tenu de la brièveté de la période de campagne.
Le gouvernement devrait autant que possible éviter de disperser par la
force les manifestations organisées par l'opposition, même si elles ne
sont pas autorisées, et faire une priorité du maintien du dialogue avec
l'opposition sur les moyens appropriés de faire respecter la loi et
l'ordre public. Si la dispersion des manifestants s'avère nécessaire,
les forces de sécurité devraient alors faire un usage proportionné de la
force, conformément aux Principes de base des Nations Unies sur le
recours à la force et l'utilisation des armes à feu par les responsables
de l'application des lois. Les partis d'opposition devraient enfin
continuer de notifier les autorités des manifestations à venir et rester
ouverts au dialogue avec les autorités quant aux itinéraires
alternatifs à emprunter et aux procédures de sécurité à suivre.
« Les Ivoiriens doivent être informés des forces et faiblesses de la nouvelle constitution », a conclu Corinne Dufka. « Donner
aux partis d'opposition un accès équitable aux médias, veiller au bon
fonctionnement des médias d'opposition en l'absence de restrictions
injustifiées, et respecter le droit de manifester pacifiquement sont des
éléments déterminants de tout processus démocratique ».
SOURECE:LE BANCO
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