« Le ministre Jacquinot déclarait à la tribune des Nations Unies que l’indépendance, c’est l’indépendance.
Nous nous apercevons aujourd’hui que ce n’est pas vrai.
C’est un piège à cons qu’il nous a tendu. » Daniel Kemajou – 29 octobre 1959. (1)
Le « niveau de vie » de ce pays devrait être supérieur à celui de la Norvège, avec ses 5,5 millions d’habitants…
Producteur de pétrole comme le scandinave, le Gabon atteint, à peine, les 2 millions d’habitants
pour une superficie représentant la moitié de celle de la France. (2)
De plus, gratifié de fantastiques ressources naturelles que la Norvège,
pour rester dans la comparaison, ne détient pas.
« Main Invisible » du Marché ou de la Prédation ?…
Richesses dont on a du mal à cerner les contours de leurs colossales
amplitudes. Statistiques « incontestables », aux chiffres vérifiés et
validés sur fondement de plusieurs sources elles-mêmes « fiables »,
étant impossibles à obtenir pour ce qui est du commerce extérieur des
pays africains dès qu’ils sont vendeurs d’hydrocarbures et de
productions minières. Pratique similaire, ne l’oublions pas, dans
d’autres pays d’Amérique latine ou d’Asie (Birmanie-Myanmar, Philippines ou Thaïlande, par exemple).
Comme pour les statistiques « officielles » du chômage, ou de
l’inflation, sous nos latitudes tempérées ; systématiquement
« bidonnées », minorées, dans tous les cas « taillées sur mesure » à la
demande des gouvernements.
C’est ainsi qu’on arrive, sans rire, à affirmer que l’inflation est
« voisine de zéro ». La chorale de nos « experts en économie »
l’affirmant à longueur d’année, la main sur le cœur. En contradiction
flagrante avec les constatations, et expérimentations, quotidiennes du
porte-monnaie de n’importe quel consommateur, même le plus analphabète
en économie… Jusqu’à la baguette de pain, ou le pot de yaourt, dont on
diminue le poids pour ne pas augmenter le prix unitaire !…
Le Gabon, n’échappe donc pas au « régime statistique » des autres
pays africains : une grande partie des produits de son sous-sol étant
« cédée » hors comptabilisations douanières, et autres organismes censés
en contrôler les « flux » ; dans le bourdonnement continu, mais
discret, des domiciliations bancaires des paradis fiscaux…
Tout comme la majeure partie du continent africain, le Gabon est
immensément riche de ses ressources naturelles. En tête de liste : les
hydrocarbures. Depuis des décennies, le Gabon est considéré comme un des
principaux producteurs de pétrole du continent. Mais, les Gabonais, pas
plus que les autres non « initiés » aux modes de pompage et circuits
spoliateurs, ne connaîtront jamais la somme, ou le détail, de
l’exploitation des richesses pétrolières de leur nation…
Pas davantage pour ce qui est des autres productions de son sous-sol,
minières plus particulièrement. (3) Citons le manganèse dont il est le
troisième exportateur mondial après l’Australie et l’Afrique du
sud, d’après les « statistiques officielles » !… (4)
Ajoutons dans le panier : l’uranium, dont on nous dit que
l’exploitation est arrêtée depuis le début des années 2000. La première
tonne d’uranium a été extraite en 1961. La COMUF, filiale d’AREVA,
exploitant la mine ne faisait bénéficer ses salariés « d’aucune des mesures de protections reconnues nécessaires par la filière nucléaire« …
(5) Des centaines meurent, actuellement, de maladies du travail dans
l’indifférence… L’exploitation devrait reprendre, sur d’autres sites,
d’après les rumeurs…
Sans oublier l’or de Bakoumba. Ou encore, le fer des mines de Bélinga
dont les réserves sont évaluées à un milliard de tonnes… Et tous ces
minerais rares, d’autant plus recherchés par les nouvelles technologies
industrielles : le niobium de Lambaréné, le molybdène de Mouila, aux réserves estimées à 100 millions de tonnes. Richesses à ne plus savoir qu’en faire !…
Et, il n’y a pas que le sous-sol…
Le premier employeur du Gabon est la filière d’exploitation du bois.
La forêt recouvre 85% de la superficie du pays, avec des essences de
bois précieux très demandées telles que l’okoumé.
Le Gabon est un des premiers exploitants forestiers et exportateurs de
bois dans le monde. Additionnons à la liste : caoutchouc, café, cacao…
Pays aux multiples fleuves, rivières et cours d’eau ; gigantesque
château d’eau douce, au potentiel agricole faramineux…
Mentionnons une richesse sous-exploitée, car pillée dans le silence
complice de ses gouvernants. Cas de beaucoup de pays africains dotés
d’une zone côtière : la ressource halieutique.
Leurs eaux territoriales sont riches, très riches, en poissons, du
fait des courants marins longeant leurs côtes ; qu’ils sont pour le
moment incapables de faire respecter par les flottes de pêche
européennes et asiatiques (Japon et Corée, surtout), ne serait-ce qu’en
exigeant droits de pêche et respect de quotas (imposant le « repos
biologique » pour assurer le renouvellement de la ressource). Ou,
d’investir dans une flotte de pêche avec la valorisation industrielle et
commerciale du produit : conserveries, unités de congélation, etc. Le
Gabon, gros consommateur de poissons, n’assure qu’un tiers de sa
consommation…
« Pauvre Norvège« , se dit-on, en comparaison de cet amas de ressources naturelles.
Le rapprochement s’effondre brutalement, toutefois, dès que l’on compare les niveaux de vie des deux pays.
Même pas 2 millions d’habitants… Et, la majorité de la population du Gabon vit dans la pauvreté… Des études « indépendantes » font état de 83 %…
Dans un pays aux infrastructures et services quasi illusoires, hors
exploitation des ressources destinées à l’exportation : routes et voies
de communication délabrées ou inexistantes, accès à l’eau potable limité
à une partie de la population, services de santé et d’éducation
déficients, services sociaux défaillants pour des catégories sociales
précarisées (personnes âgées, handicapées, notamment), chômage
exponentiel sans protection sociale (1/3 de la population), diplômés
sans emploi ni perspective d’avenir (la majorité des postes
d’encadrement étant squattée par des « expatriés » européens aux
salaires et avantages exorbitants), etc.
Pourtant nous sommes au royaume du « Libéralisme Economique Absolu« , tant célébré et invoqué par nos « charlots-économistes »
qui ne cessent d’en prêcher les mérites : « pas de dépenses
publiques », pas d’impôts sur les fortunes et hauts revenus, pas
d’impôts sur les grandes entreprises exportatrices, pas de droits de
douane, privatisation de tous les services publics (entièrement aux
mains de groupes privés français) !… Le rêve pour ces adorateurs de La Main Invisible du Marché dont ils souhaitent l’instauration en France, sous l’appellation de « réformes structurelles ». (6)
Qu’importe désastres et ravages, économiques et sociaux, qu’on peut
recenser partout, en appliquant les mesures préconisées par les dévots
du « Libéralisme Débridé » ; le Gabon, par sa catastrophique situation sociale, constituant un aveuglant exemple !…
Attention ! Il est, de plus en plus, interdit d’en faire le constat,
de le mentionner, de vouloir en discuter, pire : de prétendre le
remettre en cause, sous peine de délit de « blasphème » !… Les
économistes de nos nomenklaturas viennent récemment d’en énoncer le
principe canonique, de droit divin, dans un livre : « Le négationnisme économique, et comment s’en débarrasser« . (7)
Nous voilà sommés par l’Inquisition, contrôlant la circulation des
idées et des opinions, de nous taire pour ne pas être déclarés :
« hérétiques » !… (8)
En fait, le Gabon est la parfaite incarnation de ce que nos oligarchies rêvent d’imposer sur la planète : « tout pour le 1% »
! L’immense richesse nationale du pays spoliée par une infime poignée
de clans familiaux de l’ancienne puissance coloniale, adossés aux
politiciens maffieux, en cheville avec leurs richissimes « fondés de
pouvoir » locaux dissimulés dans les mascarades électorales, n’est que
la concrétisation d’un modèle économique ardemment souhaité.
Elections nationales familiales…
En ce début du mois de septembre, excédés par cette situation sociale
d’une violence extrême par son injustice, les Gabonais viennent de se
révolter à l’occasion des résultats des élections présidentielles du
samedi 27 août 2016.
Toutes les villes du pays ont été touchées par cette flambée de rage ;
vite contenue et réprimée par des forces de police, soigneusement
entraînées et généreusement équipées par la caste au pouvoir (9). La
réélection d’Ali Bongo, fils du précédent président Omar Bongo, la famille Bongo « régnant » sans discontinuer depuis 1967 (un demi siècle…), étant contestée par son « adversaire ».
Les élections auraient été grossièrement « truquées », au préjudice
de son opposant nous enfument nos médias. Mais, s’arrêter à ce niveau
d’analyse serait accréditer une possibilité, ou un contexte,
d’alternance politique, tout à fait illusoire. Le dit « opposant » d’Ali Bongo, Jean Pïng, n’est autre que son beau-frère ; marié à une des filles d’Omar Bongo,
dont il a eu deux filles, et dont il fut un des ministres pendant 18
ans. Ce ne sont pas des élections « nationales », mais bien des
élections « familiales ».
Les Gabonais en ont ras-le-bol de cette farce. Pas de libertés
publiques – d’expression, d’opinion, de réunion, etc. – à la limite ;
ils s’accomoderaient de la dictature de ce « régime familial ». Car, ils
se fichent de cette mascarade démocratique, souhaitant avant tout, non
pas des isoloirs avec des bulletins de vote « bidons », mais des
emplois, des services publics, des écoles, des dispensaires et centres
de soins, des routes, des logements, de l’eau potable dans les
habitations, par une équitable redistribution de la richesse nationale.
« Changement de régime » ?… Ils n’y croient pas : les
gouvernements de la France ou des pays européens tiennent dans la plus
haute considération des « régimes moyenâgeux », et sanguinaires, tels
que ceux de l’Arabie Saoudite ou des pays du Golfe. Alors, la famille Bongo et sa sympathique corruption … (10)
« Néocolonialisme » ?… Tout a été dit sur ce fléau qui
accable l’Afrique, tout particulièrement. Les anciennes puissances
coloniales continuent de gérer les pays dont elles pillent les
ressources, via des « marionnettes élues »… Les gouvernements
britanniques – j’ai eu l’occasion d’évoquer le cas tragique du Kenya – avec autant de férocité que les gouvernements français. Au Gabon, comme ailleurs. (11)
En France, nombreux sont ceux qui se sont élevés contre ces systèmes
de corruption et de gabegie institutionnalisés. Sources
d’enrichissements personnels scandaleux. Via les caisses de nos partis
politiques ; ou directement, dans les poches de nos « capitaines
d’industrie » et nos responsables politiques, sous les paradis fiscaux.
Et, même militaires : nos forces armées se comportant en milices au
service d’intérêts, groupes privés en symbiose avec des dictatures, qui
ne sont pas ceux de notre pays.
Car, la France aurait tout intérêt, au lieu de piller l’Afrique, à
voir se développer dans un partenariat solidaire un espace de
prospérité. Aux deux avantages essentiels :
– créer des emplois en fixant les « populations actives » dans ces
pays, « l’émigration » n’étant plus la seule opportunité d’avenir ou
d’espoir ;
– accroître, par le pouvoir d’achat ainsi généré, de fructueux
échanges avec nos entreprises industrielles, commerciales ou de
services, non liées aux circuits maffieux de la corruption tels que :
ventes d’armes, privatisations/spoliations, monopoles de la distribution
(supermarchés) et des concessions (automobiles), gestion des services
publics (réseaux d’électricité, d’eau et d’assainissement, de transport
maritime et aérien, etc.).
Rappelons le travail de René Dumont, dont le célèbre ouvrage « L’Afrique Noire est mal partie« ,
publié en 1962, prévenait déjà des dangers du développement des grandes
cultures intensives à l’exportation (café, cacao, coton, thé, etc.),
sur les terres accaparées dans la violence et la corruption par les
grands groupes internationaux ou les grandes fortunes locales ; au
détriment des cultures vivrières, donc du « marché domestique », et des
paysans plongés dans les ravages du déracinement et de l’exode rural.
(12)
Surtout l’oeuvre exceptionnelle de François-Xavier Verschave
qui a dénoncé avec tant de force, de talent, et d’abnégation, tous les
excès du néocolonialisme en forgeant le fameux concept de « Françafrique« .
Il est l’auteur, entre autres publications, de deux ouvrages
incontournables pour comprendre les rouages de la prédation en Afrique :
« La Françafrique – Le plus long scandale de la République » (13) et « Noir Silence » (14). Son action se poursuit grâce à l’association Survie, dont il fut un des membres fondateurs.
Jusqu’à quand le pillage ?… Le Gabon, pourra-t-il se défaire de l’emprise de l’oligarchie de l’ancienne puissance coloniale ?…
« Avec le temps », comme le chante le poète…
Restons lucides : la France, dans un rigoureux système féodal, est
elle-même vassalisée aux USA, sa propre caste au pouvoir aux ordres de
son suzerain…
Cet empilement de contraintes, de verrouillages, ne pourrait se
dénouer, ou s’écrouler, qu’à la faveur d’un séisme majeur, d’un choc
tectonique comme il en existe en géopolitique. Des « pays-continents »
tels que l’Inde ou la Chine
n’ont pu éjecter définitivement les puissances coloniales, qui les
vampirisaient, qu’à la faveur de leur épuisement dans la dernière guerre
mondiale.
La libération irréversible de l’Afrique, qui sera le continent-phare
du XXII° siècle, aura pour probable déclencheur l’onde de choc d’un
embrasement en Mer de Chine ou au Moyen-Orient.
SOURCE :afriquedemocratie

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