Quelque 137 témoins sont appelés par l'accusation dans le
cadre du procès de Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé à la Cour pénale
internationale (CPI). Soupçons de corruption, manque de crédibilité, le
choix de ces témoins fait parfois l'objet de vives critiques. Ivoire
Justice a voulu en savoir plus sur la manière dont le bureau de la
procureure recrute ses témoins.
Par Camille Dubruelh
Anciens
policiers des juridictions nationales, journalistes, avocats ayant
transité par des tribunaux internationaux, ce sont des enquêteurs
chevronnés qui « recrutent » les témoins de l'accusation, selon
le bureau de la procureure. Il peut s'agir de victimes, d'experts, de
témoins oculaires ou encore de « témoins privilégiés », c'est à dire des personnes ayant étroitement collaboré avec l'accusé. « On cherche toujours la meilleure preuve »,
assure Richard Nsanzabaganwa, conseiller en coopération internationale
auprès du bureau de la procureure, insistant sur l'importance de
privilégier « les témoins directs » des crimes.
Témoins mis sur écoute et recherche de crédibilité
Mais sur les stratégies utilisées pour trouver ces témoins, le bureau de la procureure est peu loquace. « On ne discute pas de notre méthodologie d'enquête et de la manière dont nous identifions nos témoins »,
a d'emblée spécifié le conseiller, avant de donner tout de même
quelques pistes. Certaines personnes, victimes notamment, s'adressent
directement à la CPI dans le but de témoigner. « Si un témoin nous
contacte, on évalue si ça a l'air de tenir, s'il a quelque chose à nous
dire. Le bureau de la procureure encourage ceux qui sont au courant des
crimes à témoigner », explique Richard Nsanzabaganwa. Les
enquêteurs mènent ensuite un gros travail d'enquête en amont, avant de
se rendre sur place pour rencontrer les témoins potentiels. « On ne
va pas sur le terrain pour découvrir le témoin, on a déjà pris des
rendez-vous. On n'est pas à la recherche de qui a vu quoi », précise le conseiller.
Des techniques plus « policières »
peuvent aussi être utilisées par la CPI dans le cadre de la recherche
de témoins. Les écoutes téléphoniques font partie de cet arsenal. « Sur la base d'une preuve existante »,
le bureau de la procureure peut ainsi demander aux juridictions
nationales d'intercepter des conversations téléphoniques. Des écoutes « spécifiques » qui concernent seulement certains numéros de téléphone et des périodes définies. « Quand nous faisons des demandes en matière d’écoute, la procédure suit le droit national en la matière », précise Richard Nsanzabaganwa.
Principale
préoccupation de l'accusation : s'assurer de la crédibilité d'un
témoin. Dans le cadre du procès de Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé,
la défense a elle-même remis en cause la fiabilité des personnes
appelées par l'accusation. Ce fut notamment le cas lors du
contre-interrogatoire du 19e témoin. Suite à de nombreuses questions sur
le parcours de ce témoin, Me Altit, avocat principal de Laurent Gbagbo,
a expliqué à la Chambre la nécessité d'évaluer sa « crédibilité » et la « plausibilité de son récit ». Alors comment le bureau de la procureure s'assure-t-il qu'il ne s'agit pas de faux témoignages ? « Il
faut tester la crédibilité et connaître les motivations d'un témoin.
Notre objectif est aussi de corroborer les faits pour établir la
vérité », répond Richard Nsanzabaganwa. « On tente d’éviter les
surprises, comme par exemple, apprendre en audience certaines choses
sur un témoin qui pourrait avoir un impact sur sa crédibilité. »
Un seul objectif : « Que la vérité soit connue. »
Mais le bureau de la procureure l'admet, l'objectivité est relative, notamment pour les victimes. A craindre notamment ceux « qui veulent en rajouter » afin d'être certains que les accusés soient « punis assez sévèrement ». Un seul objectif : « Que la vérité soit connue. » « Nous enquêtons à charge et à décharge, c'est une obligation imposée par le statut de Rome », assure Richard Nsanzabaganwa. «
Si quelqu'un est en possession d'informations contraires à ce que nous
croyons savoir, nous devons approcher ce témoin et chercher à le faire
témoigner. Notre obligation est aussi de divulguer toutes informations à
décharge qui ne seraient pas déjà portées à la connaissance de la
défense. Si ça peut l'aider, tant mieux ! ».
Et
que faire si un témoin jugé clé refuse de témoigner ? Si une personne
est en possession d'une information qui peut éclaircir sur les
circonstances dans lesquelles un crime a été commis et qu'elle a donné
une déclaration à cet effet au bureau de la procureure, « l’accusation peut demander une ordonnance aux juges afin de contraindre cette personne à témoigner sous serment devant la Cour », assure Richard Nsanzabaganwa. Une « arme nucléaire »,
à laquelle le bureau de la procureure ne recourt que rarement, jamais
dans le cadre du procès ivoirien d'ailleurs où tous les témoins « ont voulu déposer volontairement ». Même si « volontairement » est parfois relatif. L'un d'entre eux a par exemple expliqué qu'il avait « été forcé » de témoigner « volontairement », le bureau de la procureure lui ayant signifié qu'il allait y être contraint s'il refusait.
Quant
aux questions que soulève le nombre impressionnant de témoins appelés
par l'accusation, le bureau de la procureure se défend : « Tous les
témoins ne sont pas là pour tout prouver. Il faut être patient et suivre
tout le déroulement du procès. Il pourrait durer deux, trois ans, même
plus », justifie Richard Nsanzabaganwa. Il faut dire que l'accusation doit prouver « hors de tout doute raisonnable » que des crimes ont été commis et que les accusés en sont responsables. « C'est une responsabilité énorme », affirme le conseiller du bureau de la procureure, « on ne va pas passer à côté ».
SOURCE :ivoirejustice
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